vendredi 27 mai 2016

art thérapie

Je me souviens de la pluie sur la table et dessous, de l’odeur du bougainvillier, de la glycine. Des photos de vacances en vrac à ne plus savoir quoi qui quand.
Je me souviens des premiers spectacles, ceux intimistes sur l’herbe du jardin et les vrais là dans cette cour/garage/cinéma et les feux des projecteurs braqués sur d’autres que moi mais je sens bien que c’est mon cœur qu’on illumine.
Je me souviens de ma respiration à l’approche du lever de rideau symbolique, qui s’intensifie, qui prend plus de place, dans le noir on ne doit entendre qu’elle pensais-je.
Ce n’est pas moi qui remet tout en jeu et en question ce soir mais c’est moi quand même.

Je me souviens déjà du visage de mes étudiants, de leur concentration, écrire le bon mot à la juste place et choisir celui qui correspond le mieux à l’émotion tapie tout au fond. Je ne me souviens pas encore, mais bientôt, de leurs textes affichés au mur et de leur portrait en contrepoids. On ne sait pas qui a écrit quoi. On ne sait pas mais on joue à deviner et c’est beau comme ça, c’est juste comme ça .
Etre juste, voilà ce qu’aux cours de théâtre on nous répétait.

Il n’est toujours et uniquement question, il me semble, que de défendre le beau face à  l’utile. Au milieu de ces objectifs de communication, de praticité, voir surgir l’esthétique pure et simple, l’émotionnel qui ne demande rien à personne si ce n’est à soi et en saisir tous les bénéfices. Il n’y a pas de compte à rendre. Il n’y a plus d’explication à donner. « Mais à quoi ça sert ? quel est l’objectif ? » je n’en ai rien à faire et je ne m’en défendrai pas. Mais cela ne sert à rien mesdames messieurs cela ne sert à rien comme ne servent à rien la lumière du soleil le matin sur la terrasse et l’ombre de la lune dans le jardin, les mots de Neruda dans un vieux livre et les mains qui se promènent sur un piano, la douceur de la Méditerranée en septembre et le goût du pain. A rien. Je ne veux plus que de l’inutile, de l’incompétent et du sans rendement. Je ne veux plus de résultats comptables ni de statistiques. Qu’on ne me demande plus de prouver quoi que ce soit.
Dans les « je me souviens » de mes apprenants il y a avait les temples, la terreur, la vie, le bonheur et la viande. Dans leurs petites  phrases éparses, si difficilement formulées, remplies de fautes et de maladresse, il y avait l’enfance. Il y avait la beauté. Ils ne m’ont pas demandé à quoi ça sert.

dimanche 1 mai 2016

partir du corps

Sur mon carnet un peu plus tôt, en pensant à cet espace là à remplir, j'ai écrit le mot corps et sous la pointe de mon stylo il ressemblait plutôt à coups.
 
J'écris "corps" et on lit "coups" et c'est un peu ça , cette lutte permanente entre le dehors et le dedans, entre ce que l'on montre et ce que l'on est, mais comme le dit si justement Nancy Huston, nous sommes aussi ça, aussi ce corps alors pourquoi tant le nier?
Etrange comme on y porte beaucoup d'attention, on le maquille, on le pare, on le modifie au grès du temps, des modes, de l'âge tout en passant les 3/4 du temps à affirmer que ce dehors là, ce n'est pas vraiment moi.
 
"la seule chose fiable, c'est le corps" ou quelque chose comme ça, prononcé par Vimala Pons un jour de radio, prononcé par une circassienne, elle s'y connaît. Hier en assistant à un spectacle de cirque -le premier spectacle en 7 mois, cela m'avait tellement manqué- j'ai repensé à cette phrase et à sa force contenue en de si petits mots. Le corps.
 
Où en suis je aujourd'hui avec le mien? Quelles en sont les limites, les forces , les points de confiance, les points de confidence? J'ai toujours aimé ce faux ami de l'anglais -confiance/confidence- ce lien entre deux choses qu'en français on donne à quelqu'un d'autre. Et à soi? Donner sa confiance à quelqu'un . Prendre confiance en soi. Si l'on prend, est-ce parce que quelqu'un nous le tend? Ou au contraire est-ce une chose posée là au hasard dont on peut se saisir à tout instant mais alors tout le monde pourrait aussi la prendre à notre place?
Peut-être que si l'on n'a pas confiance en soi, c'est simplement parce que quelqu'un d'autre et passé par là et l'a prise avant nous. Devrions nous partir à la recherche de ces personnes détentrices de nos confiances en nous?
 
 
Aujourd'hui avant ces mots et après il y a eu la vue sur riverside depuis ce café si peu cambodgien, les enfants des rues tous nus sur la rive, le ballet des tuktuk et des scooters, il y a eu des phrases en khmer prononcées avec hésitation et la confirmation dans le sourire de mon interlocuteur "why do you learn khmer? " comme si ça n'allait pas de soi, ici, d'apprendre le khmer. Il y a eu la pluie, forte et inattendue, les discussions sur la résilience des cambodgiens après les khmer rouges, les enfants qui jouent à la balle juste en bas, juste à côté, dans ma rue. Il y a eu cette heure sur le canapé gris dans ce décor blanc à attendre quelqu'un avec angoisse et envie, cette heure occupée à aligner les mots sur mon carnet. De la quiétude dans Phnom Penh, cela faisait longtemps, cela faisait du bien.